La mesure prise par Twitter interroge sur la liberté d’expression et la légitimité d’une plateforme privée à prendre ce genre de décisions.
Qui aurait cru que Twitter sortirait de son silence et déciderait de suspendre le compte du 45e président des Etats-Unis ? Depuis la campagne présidentielle américaine de novembre 2020, Twitter a renforcé sa lutte contre les fake news en les signalant par un message d’alerte voire en les supprimant. Ce changement a concerné l’ancien président américain, Donald Trump, qui, après plusieurs tweets balisés “trompeur”, s’est vu suspendre son compte par Twitter en janvier 2021. Le secrétaire d’État français chargé du numérique, Cédric O, a déclaré sur le réseau social : « Ce qui interroge, dans la suppression du compte de Donald Trump, ce n’est pas tant le cas d’espèce que le fait que Twitter agisse sans aucune supervision démocratique. » Deux professeures et deux étudiants en InfoNum nous donnent leur avis.
Delphine Clémenceau-Hindy, enseignante de droit à l’IUT de Tours : «Je n’aurais pas suspendu le compte. Le choix de sanctionner doit appartenir à une personne qui a autorité et qui est légitime pour le faire : un juge. La difficulté aujourd’hui, c’est que Twitter décide de supprimer des contenus à partir de critères qu’il a lui-même élaborés. Dans ses conditions générales d’utilisation, le réseau social cite clairement les types de contenus « offensant, malfaisant, inexact, inapproprié […] trompeur » qu’il se réserve le droit de supprimer. On devrait se conformer à ce que dit la loi, pas à ce que dicte une plateforme. Dans le cas de Donald Trump, je pars du principe que tous ses contenus devraient être laissés et diffusés, ne serait-ce que pour permettre la contradiction : « ce que vous dites est faux parce que… .»
Matthias Polinière, étudiant en InfoNum et utilisateur quotidien de Twitter : «Twitter a parfaitement le droit de supprimer des comptes. Il n’appartient pas à ses utilisateurs, et ces derniers acceptent les règles qui régissent la plateforme quand ils créent leur compte. Dès lors qu’ils ne respectent pas les règles, il est normal que Twitter sévisse. Il ne s’agit pas de liberté d’expression. Cependant, je ne suis pas d’accord avec la manière de procéder. Donald Trump a clairement bénéficié d’un traitement spécial : la plateforme a tardé à agir. La plupart des utilisateurs ne voient pas leur tweet balisé « trompeur » et se font simplement supprimer leur compte. Le système d’alerte mis en place par Twitter me semble intéressant pour prévenir la suspension des comptes, mais il faut qu’il s’applique à tous les utilisateurs. Cela doit devenir une norme, et non un traitement spécifique pour une personne de pouvoir.»
Julianne Latasa, étudiante en InfoNum après un cursus en droit : «Il y a une incompréhension face à ce que « liberté d’expression » et « démocratie » signifient. La liberté d’expression, ce n’est pas dire tout et n’importe quoi. Il ne faut pas porter atteinte à l’honneur et à la réputation de quelqu’un sous couvert de liberté d’expression. Dans le cas des tweets de Donald Trump, la façon dont il répand des fake news peut s’avérer dangereuse (efficacité de l’ingestion de désinfectant pour lutter contre le coronavirus). La suppression de son compte était nécessaire. Twitter peut choisir de ne pas le laisser s’exprimer sur sa plateforme, notamment si des preuves existent quant à sa capacité à inciter à la révolte ou au non-respect des conditions d’utilisation. Si j’étais Twitter, j’aurais fait la même chose en commençant mon action plus tôt. Le retard pris dans cette opération montre bien que les réseaux sociaux restent sous l’influence du monde politique.»
Angèle Stalder, enseignante à l’IUT de Tours et utilisatrice quotidienne de Twitter : «La décision de Twitter apparaît comme une forme de censure. Ces problèmes de liberté d’expression se sont posés à chaque fois qu’un nouveau média est apparu. La particularité du web, c’est que tout le monde peut s’exprimer. Aujourd’hui se pose la question de la gouvernance d’Internet. C’est un territoire, qui si on l’écoute, donne l’état d’une société. Les démocraties ont en elles les armes de leur destruction. Si l’expression publique est trop muselée, si l’on censure tout, les discours dangereux passeront sous le radar et on ne pourra plus évaluer l’état de la société.»
Donald Trump crée sa propre plateforme
Donald Trump n’a pas seulement été banni de Twitter. Facebook, Instagram, Youtube et Snapchat ont aussi suspendu le compte du 45ème président des Etats-Unis.
Comment s’exprimer quand l’on perd son terrain de jeu favori ? En créant une nouvelle plateforme, avec ses propres règles, dictées par Donald Trump en personne !
Quand ce retour aura-t-il lieu ? Dans deux à trois mois selon l’ancien porte-parole de sa dernière campagne électorale, Jason Miller.
Pourra-t-il vraiment tout dire ? Non. Le premier amendement de la Constitution des États-Unis d’Amérique garantit la liberté d’expression en définissant ce qui peut être dit ou non. Par exemple, ce texte interdit la diffamation, l’incitation aux émeutes et les propos obscènes.
Rendez-vous dans quelques mois afin de découvrir cette nouvelle plateforme. Pour l’heure, de nombreuses entreprises veulent participer à son développement.
Par Anouk Weill & Sarah Mandroit Bochereau
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